Droit d’auteur numérique : décryptage


Sandra Semburg pour Vogue
Le Parlement européen a voté le texte qui encadre le droit d’auteur à l’ère du numérique. Les eurodéputés donnent leur feu vert pour réformer le droit d’auteur, objet d’une bataille sans précédent entre artistes et éditeurs de presse d’une part et géants du numérique d’autre part. Décryptage.
L’objectif avancé par Bruxelles est d’adapter le droit d’auteur de l’UE à l’ère numérique et de mieux protéger les détenteurs de droits, comme les artistes créateurs et les éditeurs de presse. Mais les défenseurs de la diffusion libre sur internet crient à la restriction d’accès aux savoirs.

Edita Vilkeviciute pour Porter Magazine
Qui est concerné par le droit d’auteur ?
Tout créateur d’œuvre originale. De manière non exhaustive, sont concernés : les créations musicales, cinématographiques, les écrits journalistiques, les photographies, les créations de mode, les logiciels, etc. Le droit d’auteur protège également ceux que le jargon juridique qualifie d’ayants-droits : les héritiers et les personnes ou entités qui auraient racheté les droits des créateurs, comme le font les maisons de production.
Ainsi, les créateurs comme les ayants-droits peuvent autoriser ou non la diffusion d’une œuvre (au cinéma par exemple), autoriser ou non sa reproduction (sur DVD, streaming…), traduire en justice les auteurs de contrefaçons (comme les sites de streaming illégaux) et percevoir une rémunération.
Pourquoi l’Union européenne souhaite-t-elle moderniser le droit d’auteur ?
Certaines facettes du droit d’auteur ont déjà été harmonisées à l’échelle européenne. Mais cette législation remonte à… 2001. A l’heure où internet balbutiait encore. L’explosion du numérique et l’émergence des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), les « géants du Web » ont mis le droit d’auteur face à de nouveaux défis : Google doit-il payer pour afficher une photographie en miniature sur son moteur de recherche ? Un titre ou un hyperlien peuvent-ils être protégés par le droit d’auteur ? Quid des clips musicaux chargés sur YouTube par les internautes, sans rétribution des auteurs ou de leurs ayants-droit ?
Quels sont les principaux points de désaccord ?
L’utilisation des contenus par les plateformes internet
C’est le cas d’une plateforme comme YouTube, qui héberge de nombreux clips vidéo, chargés par les utilisateurs, et qui serait avec cette directive « tenue de conclure des contrats de licence avec les titulaires des droits » . L’Union entend ainsi s’attaquer à un problème bien connu dans l’industrie de la musique : contrairement à des plateformes de streaming comme Deezer ou Spotify, qui achètent les licences aux ayants-droits afin de diffuser leur musique, une plateforme comme YouTube ne se considère pas responsable du contenu posté par ses utilisateurs. Et ne reverse que des compensations dérisoires aux ayants-droits, en comparaison des revenus publicitaires générés par la plateforme, un phénomène désigné sous l’appellation de value gap.
L’utilisation des articles de presse par les plateformes internet
Avec la création d’un droit voisin, les éditeurs de presse seraient considérés comme détenteurs des droits sur les articles écrits par les journalistes, chose techniquement difficile à prouver devant un tribunal jusqu’ici. Pour la Commission européenne, ce droit leur permettrait de négocier plus facilement des licences payantes avec les plateformes ou sites internet qui indexent automatiquement leurs articles, comme Google Actualités ou Facebook (ce que l’on appelle des web crawler). La logique est ici la même que pour la lutte contre le value gap.
La fouille automatique de textes et de données
Généraliser dans l’UE l’exception au droit d’auteur pour la fouille automatique de textes et de données, plus connue sous son appellation anglaise text and data mining (TDM). Le TDM est un mélange de méthodes et d’outils technologiques qui permettent aux chercheurs de fouiller automatiquement un grand nombre de publications et de données scientifiques. Un peu comme lorsqu’on effectue une recherche Google, sauf que les textes et données utilisés lors du data mining sont souvent soumis au droit d’auteur.
On se demande si cette directive va mettre les GIFS et les MEMES hors-la-loi?
Vous ne pourrez peut-être bientôt plus poster de GIF ou de mèmes sur Internet en toute liberté. Pour les moins connectés de nos lecteurs, précisons qu’on appelle généralement GIF une image animée ou un court extrait vidéo (au format .gif, donc) qui tourne en boucle, parfois accompagnée d’un texte. Et qu’un mème est une image à portée humoristique qui devient virale en ligne. Apanages de la culture web, les mèmes et les GIF peuvent être des images ou de courts extraits vidéos provenant d’un film ou d’une série. Il s’agit alors de contenus détournés depuis des œuvres culturelles. C’est là que le bât blesse. Car la Commission des affaires juridiques de l’Union européenne a voté le 20 juin une directive sur le copyright et le marché unique numérique, qui vise précisément les droits d’auteur et le partage ou la publication en ligne des œuvres qui y sont soumises. Sans qu’ils soient désignés nommément, les GIF et les mèmes pourraient en pâtir si le texte de loi entrait en vigueur tel quel. En 2013, cette directive aurait rendue complètement hors la loi le Tumblr Ciel Mon Presse Office, vis ma vie d’attachée de presse.