Frey : la décoration au masculin


Crédits : Pierre Frey
C’est en 1935 que la maison Pierre Frey fait ses premiers pas. Le très classique éditeur de tissus parisien ne laisse pourtant passer aucune tendance, et se démarque depuis Trois générations, grâce à des innovations constantes. Aujourd’hui, Patrick et ses fils : Vincent, Mathieu et Pierre, combinent les valeurs et la qualité traditionnelles de leur ancêtre à l’éclectisme. Pour eux : « dans la création, rien n’est impossible ! ».
Si chacun des fils occupe aujourd’hui une place au sein de la maison, cette réunion de famille reste tout de même une surprise : « Petit, je ne me serais jamais douté que nous travaillerions tous les trois dans l’entreprise aux côtés de notre père, se souvient Pierre, responsable de la communication. Et le plus drôle certainement, c’est que nous sommes arrivés dans notre ordre de naissance. Mathieu et Vincent ont vécu d’autres expériences professionnelles avant de venir et je les ai rejoint après mes études ». Tout s’est fait naturellement, comme ce fut le cas pour Patrick dans sa jeunesse : « Mon père ne m’a jamais demandé et je ne me suis pas posé de question non plus, c’était comme une évidence ». Assis à la table ronde des bureaux de l’entreprise familiale, il s’excuse de l’absence d’un de ces fils : « Mathieu est en Asie en ce moment afin d’y développer la marque ».

Crédits : Pierre Frey
L’importance de la transmission
L’année dernière, les quatre hommes ont soufflé les 80 bougies de la maison : « C’est une fierté, explique Patrick, d’avoir réussi à rester une entreprise familiale et indépendante toutes ces années, tout en grossissant. Pourvu que cela dure. Le plus important, c’est de pouvoir continuer en famille ». Pour l’occasion, les petits plats ont été mis dans les grands : « On a commencé par faire un livre, le premier qui raconte l’histoire de la maison, sorti en décembre 2015 ; et on a organisé une exposition aux Arts Décoratifs de Paris. C’était une très belle aventure », se souvient Pierre.

Crédits : Pierre Frey
Une maison, quatre univers
Si tout a commencé avec une marque, en 80 ans, l’entreprise s’est agrandie, recueillant sous son aile des petites sœurs de renom : « Il y d’abord eu la maison Braquenié, créée en 1824, spécialisée dans les indiennes et les toiles de Jouy, des motifs dont raffolait Marie-Antoinette. C’est une collection magnifique que nous avons rachetée en 1991. Sa concurrente à l’époque, la maison Le Manach, créée en 1829, est venue grossir les rangs en 2013. C’est plus un travail concentré sur la soie. Ensuite, il y a eu la maison Fadini Borghi, rachetée en 2004, que nous aimons beaucoup car elle a un côté très italien, florentin, qui nous permet de toucher une clientèle plus russe et moyen-orientale. C’est un style très sophistiqué, avec une manière de travailler les matières nobles que nous n’avions pas avant. Et la même année, la maison Boussac, créée après la guerre, et que nous avons repositionné pour être avant-gardiste en utilisant des matériaux nouveaux, des couleurs plus fortes et des dessins contemporains », raconte Patrick. Un large panel de styles et de matières qui ne modifient pourtant pas la manière de travailler des Frey : « C’est toujours la même équipe aux commandes, enchaine-t-il. C’est important que le cœur soit le même, pour conserver cet esprit familial. En revanche, chacune des maisons a sa propre identité et nous nous battons pour que cela reste ainsi, que ce soit pour le papier peint, le tissu et peut-être un jour les meubles ».

Crédits : Pierre Frey
Une inspiration insoumise
Avec autant de maisons aux styles différents, on comprend que la création et l’inspiration sont deux éléments importants pour la famille Frey. « On puise notre inspiration dans la rue, dans les voyages, dans les rêves, énumère Patrick, mais c’est comme une page blanche, il n’y a rien d’écrit à l’avance. – Pourquoi ci, pourquoi pas ça -, il n’y a pas de règles dans l’inspiration ». Pas de règles, mais un mot, pour définir (ou ne pas définir justement) les limites de la création : liberté. « Il faut être libre pour créer et réaliser, sans que le chemin soit barré par une équipe marketing ou financière.
Dans la création, rien n’est impossible !
Nous sommes libres de faire ce qui nous passe par la tête », continue le patriarche avant d’être interrompu par le plus jeune de ses fils, Pierre, le sourire aux lèvres : « Tout en dosant notre folie pour ne pas partir dans tous les sens ». Pour les prochaines tendances du monde de la décoration, les Frey misent sur la fin du minimalisme, un retour des couleurs, de la modernité, de la fantaisie, des belles choses et des belles matières. « Après il y a beaucoup moins de tendance dans la décoration que dans les autres métiers du monde. On ne refait pas sa décoration tous les 6 mois mais plutôt tous les 5 ans », remarque Patrick.

Crédits : Pierre Frey
Des rencontres : des collaborations
Parfois, l’inspiration vient également des autres, au grès des rencontres et des envies. La maison Pierre Frey collabore quelques fois avec des artistes comme récemment Ugo Gattoni, ou encore Louise Bourgoin : « Elle est belle et elle a du talent, elle a une main incroyable ; et elle a fait les Beaux-Arts », explique Vincent, directeur générale et artistique. Mais les collaborations restent rares, afin de ne pas ôter l’âme de la maison. « Ce ne sont pas toujours des collaborations d’ailleurs, car nous sommes éditeurs avant tout, et non dessinateurs. On essaie surtout de les orienter pour que leurs travaux entrent dans nos collections », continue l’ainé des fils. Des rencontres qui se font certainement dans les allées de certains salons de décoration qu’aime fréquenter la famille Frey : « Il y a le salon du meuble de Milan, au mois d’avril, c’est un peu La Mecque du design. Nous allons également au PAD (Paris Art + Design), l’Art Bassel de Miami ou le Deco Off de Paris, fin janvier, quand nos agendas le permettent », énumère Vincent.
Une grande diversité
« Tout a changé très rapidement ces 10 dernières années », réfléchit Patrick. Le management, la façon de penser, les produits, le métier, l’utilisation du textile, les pays clefs impactant la distribution … Le patriarche se souvient : « Avant, on faisait ce que l’on appel dans le métier des « coudres », des découpes de quelques mètres seulement ; aujourd’hui les chantiers sont immenses. Les boutiques de décoration ont disparues, les bureaux d’études ont tout remplacé, même les architectes se sont mis à la décoration ». Pour lui, c’est surtout la faute du désintérêt des gens pour ce monde : « Je me souviens de cette époque où il y avait une culture des décorateurs, une connaissance des styles, un amour des objets qui a quasiment disparu. Aujourd’hui les gens passent plus par internet et se moquent de la marque ». La maison Pierre Frey est tout de même épargnée par les achats en ligne : « Nous ne vendons pas un produit fini mais semi-fini, il faut encore faire intervenir des étapes pour arriver au produit final », explique Patrick. Son fils Vincent explique à son tour que l’offre s’est vraiment diversifiée depuis les années 90 : « On propose de tout, allant des tapis aux papiers, en passant par le mobilier. Et les gammes aussi se multiplient : classique, moderne, contemporain, technique … On produit environ 60 à 70 modèles de tissus et 30 à 40 de papier peint. Et je parle seulement des motifs, un tissu en plusieurs coloris est considéré comme un seul élément ».

Crédits : Pierre Frey
Un savoir-faire français
Dans la petite usine de la maison Pierre Frey, dans le nord de la France, 25 employés utilisent la modernisation des métiers à tisser, des fibres et des colorants pour répondre aux nouvelles demandes des clients : « La vie en extérieur est de plus en plus recherchée. Les gens cherchent des matières qui peuvent rester dehors, sur les bateaux, dans les jardins, sur le bord des piscines, les terrasses. Des choses qui peuvent résister à l’eau de mer, au soleil, et même à la lune, dont la lumière est très dévastatrice », explique Vincent. Aujourd’hui, le textile s’auto-révolutionne pour allier le pratique et l’esthétique. « Nous sommes toujours à la recherche de nouvelle matières innovantes, comme une laine qui ne pique pas », ajoute Patrick. Généralement, les textiles sont traités, en Europe (à Bruxelles, dans le cas de la maison Pierre Frey) : « Nous sommes une petite entreprise, nous n’avons pas les mêmes moyens que les géants du textile, ce qui nous permet d’utiliser des techniques simples comme l’effet stone wash, ou un peu plus complexes mais rarement avec des produits chimiques », dit Vincent. L’entreprise peut ainsi laver les impuretés du textile en gardant un vrai contrôle sur l’eau qu’elle utilise à cette fin.