Les soeurs Fragonard


Crédits : Fragonard Parfumeur
Depuis 90 ans, le parfumeur Fragonard nous enivre depuis Grasse. Les trois héritières de la maison : Anne, Agnès et Françoise Costa, co-dirigent aujourd’hui d’une main de velours la maison familiale. Elles ont conservé l’amour de l’histoire et du parfum. Rencontre.
Trois sœurs à la tête de Fragonard, tirez-vous une fierté particulière à co-diriger cette entreprise entre femmes ?
Nous travaillons avec quelques hommes tout de même, une vraie principauté. Pour être honnête, nous avons tendance à favoriser les femmes et nous en sommes entourées. Dans la vie, il y a deux types de femmes : celles qui les aiment et celles qui ne les aiment pas, nous, nous les aimons. Nous avons beaucoup de directrices, de cadres femmes, mais aussi quelques hommes, même si beaucoup ont été choisis à l’époque de notre père. C’est un fait, la femme travaille beaucoup, est très organisée et est super fiable, super efficace. Le fait d’être entre femmes nous permet d’intégrer des paramètres spéciaux : on peut se mettre à place de l’autre, comme par exemple pour l’uniforme. Nous savons ce que c’est d’en porter un, nous sommes passées par là aussi puisque nous avons toutes travaillé en boutique pendant nos études. Au niveau du rythme de travail aussi, nous savons nous adapter. Chez nous, tout le monde part à 18h, car chacun a une vie personnelle à gérer. Je n’ai pas besoin qu’on reste jusqu’à 20h pour me prouver qu’on travaille. On a toutes deux vies, quand on rentre, on a beaucoup de travail, il faut s’apprêter à la cuisine, aux devoirs…(rire) Et celles qui n’ont pas d’enfants peuvent sortir. J’y tiens beaucoup !

Crédits : Fragonard
Vous avez des caractères et des compétences complémentaires, quel est le rôle de chacune au sein de la maison Fragonard ?
Anne : J’ai un doctorat de médecine, après avoir été en métier général à Nice, j’ai travaillé à Paris pendant assez longtemps, dans une société qui faisait des études épidémiologiques. J’ai aussi fait de la pharmaco-vigilance : c’est l’analyse de tous les effets secondaires et indésirables que l’on peut avoir avec les médicaments. J’ai intégré Fragonard en 1999. Je me suis occupée de toute la restructuration du laboratoire de cosmétique, car il n’y avait absolument aucune procédure en place. Tout le monde travaillait parfaitement bien, mais rien n’était noté, il n’y avait aucune trace écrite car cela n’était pas une obligation à l’époque. Comme j’avais à mon actif cette formation à Paris en tant qu’épidémiologiste et médecin de pharmaco-vigilance, j’ai remonté tout le système de procédure de fabrication. Je ne m’occupe pas de parfumerie, mais de cosmétique ! Nous avons beaucoup plus d’allergies maintenant, je monte donc des dossiers de pharmaco-vigilance pour chaque déclaration. J’ai trouvé intéressant de constituer pour Fragonard un dossier pour chaque réaction allergique déclarée.
Agnès : Je m’occupe quant à moi des relations extérieures. Je suis entourée de plusieurs équipes, mais globalement, je m’occupe : des documents, de l’image, des photos, du magazine… j’adore ça ! Je m’occupe également de la communication à l’export, ainsi que de la vente. Nous avons en moyenne un million et demi de visiteurs dans l’ensemble de nos usines et musées, sans compter les boutiques.
Notre sœur, Françoise, qui se trouve à Grasse actuellement, s’occupe de toute la partie interne de l’entreprise. Notamment l’administratif, la finance, la gestion des ateliers, le planning personnel… En résumé : Françoise gère, Anne traite et moi, je développe. On a la chance de parfaitement s’entendre et d’avoir la même façon de penser. Nous sommes complémentaires tout en étant capable de se remplacer entre nous, ce qui fait qu’on arrive plutôt bien à nous trois à gérer l’affaire.
Vous seriez-vous doutées, enfant, que vous viendriez à travailler main dans la main ?
Au début, nous ne pensions pas travailler dans l’entreprise. Quand Anne a fait médecine, c’est parce qu’elle en rêvait, pas parce qu’elle voulait rejoindre Fragonard. Agnès : J’y suis entrée la première et au début, j’appelais sans cesse Françoise au secours, car elle avait fait une école de commerce. Moi, qui avais étudié le droit manquait de connaissances ! Notre père a finalement eu beaucoup de chance d’avoir des filles, car si j’avais été un garçon, je n’aurais peut-être pas bien réagi à ce type d’éducation. Quand je suis arrivée dans ce milieu très masculin à 22 ans, en tant que fille du patron, je n’ai pas été accueillie à bras ouverts. Françoise m’a rejoint par la suite. Nous avions toutes déjà travaillé pour l’entreprise étant jeune, en tant que vendeuse, l’été. On savait ce que c’était d’avoir un uniforme et de rester debout toute la journée.

Crédits : Fragonard
La maison Fragonard a fêté cette année ses 90 ans, qu’avez-vous ressenti ?
Cela nous a fait très plaisir. Je me souviens encore des 80 ans et je n’ai pas l’impression que 10 années se soient écoulées, le temps passe si vite ! Je me rappelle avoir pensé à cette occasion : « Arrêter après les 90 ans », mais à cette allure, je serais également là pour les 100 ans !
Parlez-nous de ses fleurs que vous mettez à l’honneur chaque année.
Nous avons commencé lors de la crise financière en 2008, sous les conseils d’Eric Fabre de notre service extérieur. Durant cette période un peu triste, il nous a proposé de célébrer une fleur par an et d’ainsi apporter un peu de gaieté aux gens. nous avons trouvé cette idée excellente et nous avons commencé l’aventure, de par évidence avec la ville de Grasse, en mettant à l’honneur la rose. Depuis, nous avons conservé ce rituel, qui projette une belle image de la maison. Ce concept est assez unique chez nous et est de premier prix, puisque les 50 ml sont à 50 euros. C’est particulièrement satisfaisant et plaisant à mettre en place, et permet de commencer l’année avec une belle image, tout en mettant en avant de manière plus générale le métier et la parfumerie. On peut décorer les lieux en accord avec la fleur de l’année et c’est également un bon vecteur de promotion. Nous célébrons actuellement notre 8ème fleur. Agnès : Chaque année, je soumets un petit test en interne : je demande à tous nos directeurs d’établissement et à toutes les personnes avec qui je travaille leur avis quant aux choix de la fleur de l’année. En 2016, Fragonard célébrait l’iris. J’avais la pivoine en tête depuis un moment pour 2017. C’est une fleur sublime et esthétique, son odeur est très fine, très poivrée, ce qui la rend intéressante en parfumerie. L’idée est de mettre en avant tour à tour une fleur connue suivi d’une moins connue. On alterne, et on s’adapte ensuite.

Crédits : Fragonard
Le nom de votre maison rend hommage au peintre Jean honoré Fragonard, quel est votre rapport à l’art ?
Nous venons d’une famille où tout le monde collectionne, mon père était fasciné par le 18e siècle français, ma mère collectionnait les bijoux et les costumes… Plus jeunes, on nous trainait dans les musées, puis nous y avons pris goût, et on continue aujourd’hui de transmettre cette culture. C’est rare et unique de transmettre un savoir, parce que quand les gens achètent du parfum, ils achètent une bouteille, une histoire, une égérie, mais ils n’achètent pas un savoir-faire. Chez nous, il y a la possibilité de suivre ce savoir-faire, l’histoire du parfum à travers les âges : c’est une ouverture très spéciale que nous essayons de transmettre et de partager. Nous avons également le musée du costume, du bijou, et celui de Jean-Honoré dont mon père a constitué la collection d’œuvres du peintre, pour rendre hommage à ce nom qui nous a abrité.
Quelle est votre fragrance favorite chez Fragonard en ce moment ?
Agnès : Nous travaillons sur de nouvelles lignes donc en ce moment, je les porte et les essaye, et c’est difficile de dire quel est mon préféré. En ce moment, je travaille sur une fleur d’oranger très concentrée, qui va sortir très bientôt. Anne : Moi, je mets des parfums plus anciens puisque je me suis remis à porter Billet doux et Caresse. Françoise, elle, est très sensible aux parfums et un peu allergique, alors nous diront l’odeur de l’air frais.
Vous représentez la 4e génération de la maison, pensez-vous que la 5e génération (vos enfants) reprendra le flambeau ?
On les laisse libre. Pour l’instant, nous sommes une génération intermédiaire, avec nos neveux. Le fils du mari de Françoise qui a 33 ans, travaille avec nous et notre nièce de 27 ans travaille avec Anne. Cette génération est formidable, car ils se donnent un mal fou, ce n’est pas parce qu’ils sont de notre famille qu’ils sont bons, mais ils savent être excellents. Françoise et moi avons des enfants du même âge, entre 8 et 10 ans. Ils sont encore jeunes et nous parlent de devenir pompier, ambulancier ou policier. On va leur laisser un peu de temps.

Crédits : Fragonard