Maëlle Poésy


Crédits : Jean-Louis Fernandez
Au beau milieu de l’effervescence du Festival d’Avignon, Mademoiselle est partie à la rencontre de la cadette des sœurs Poésy, aussi talentueuse derrière la scène que sur les planches. Présentant sa quatrième pièce, Maëlle partage son amour pour le théâtre et démontre que savoir jouer avec les mots est une histoire de famille. Rencontre.
Ceux qui errent ne se trompent pas est une pièce politique à fort caractère. Quelles ont été vos sources d’inspiration et le point de départ de l’écriture ?
En premier lieu, c’est le livre La Lucidié de Joseph Chasamao, dont on a repris le présupposé : cette histoire de votes blancs de masse, et une journée d’élection, puis le fait de retrouver le point de vue des politiques de façon un petit peu off. Ça a représenté deux ans de travail et on a donc puisé l’inspiration dans des documentaires : un documentaire sur l’Argentine, des évènements qui ont un peu jalonné les crises démocratiques récentes en Europe, mais aussi en Amérique du Sud par exemple, ainsi que des éléments historiques comme la Commune de Paris. Pour les sources cinéma, c’était plutôt l’Ange exterminateur de Buñuel, et ensuite tout le travail esthétique d’Andreï Tarkovski.
Votre pièce Candide était également une satire politique et sociétale. Est-ce là un thème qui vous tient particulièrement à cœur ?
Oui, mais c’est aussi un thème né de ma collaboration avec Kevin Keiss qui est également auteur. On travaille assez souvent sur cette forme, entre la comédie et la tragédie, où il y a à la fois certains arguments qui pourraient faire pleurer, et d’autre rire… Ce qui me plaît, c’est de ne pas vraiment devoir choisir une forme prédéfinie, et avec Candide c’était déjà un peu le cas. J’ai aimé travailler sur des fables, des contes, avec une part de fantastique et de rêverie, ce qui permet d’aborder des sujets ou des critiques un peu sociales, sans forcément faire un spectacle théorique. C’était l’enjeu pour Candide, comme ça l’a été finalement pour Ceux qui errent.
Pour Ceux qui errent ne se trompent pas, vous avez collaboré à nouveau avec Kevin Keiss. Un coup de foudre professionnel, et de nouvelles futures collaborations ?
Bien sûr ! Mais nous ne sommes pas encore lancés dans quelque chose de nouveau, car nous venons tout juste de finir notre pièce. Comme la création était en mai, ça nous a pris énormément de temps, et j’ai parallèlement à ça mis en scène d’autres pièces au Studio de la Comédie Française : l’année était dense ! Mais effectivement, on commence doucement à parler d’autres collaborations.
Les planches versus le 7e art ?
J’ai commencé à tourner jeune, et je suis ensuite partie au Théâtre National de Strasbourg, qui est une école très intense où il est difficile de mener des projets en parallèle. En revenant, j’avais particulièrement envie de continuer le travail qui avait été amorcé avec l’équipe de Strasbourg, mais j’avais aussi des projets à côté avec d’autres personnes dont j’aime vraiment les partis pris artistiques, des projets plus faciles à organiser que de jouer dans des pièces de théâtre, ce qui demande une sacrée organisation !
Avec une grande sœur actrice également, à l’imagination aussi débordante que vous, vos jeux d’enfance devaient être particulièrement… théâtraux ?
On a énormément joué ensemble ! On s’inspirait beaucoup de films qu’on voyait quand on étaient petites. Le jeu faisait vraiment partie intégrante de notre monde. On a développé à la fois cet univers commun, puis nous avons eu ensuite des parcours assez différents et on s’est enrichi d’autres choses… Mais le jeu, c’est notre socle.
Le contexte familial dans lequel vous avez grandi était propice à votre épanouissement dans le théâtre et dans les arts dramatiques. Vous seriez-vous orienté dans cette voix si vous n’aviez pas eu une maman professeur de français et un papa directeur de compagnie théâtrale ?
Il est presque impossible de répondre à cette question ! Il faudrait que je re-imagine ma vie depuis le début ! Clairement, mon univers familial a eu une influence énorme sur moi : ma mère était une littéraire qui aimait passionnément les mots et les histoires, et mon père les mettaient en scène. Ma sœur et moi avons baigné dans le théâtre et les mots toute notre enfance, mais il y a plein de gens qui font ce métier sans avoir grandi dans ce milieu. C’est surtout une question d’ouverture d’esprit et d’opportunités que les parents donnent aux enfants : quelqu’un qui était très souvent emmené au théâtre aurait très probablement attrapé le même virus que nous !
Quelle formation avez-vous suivi ?
Parallèlement à la Fac d’Arts du Spectacle de la Sorbonne, j’étais au conservatoire du 6ème arrondissement en théâtre, et encore à côté j’ai fait plusieurs Master Classes de Danse. Ce sont des formations sous forme de stages très intensifs, dont un que j’ai fait avec l’équipe d’Hofesh Schechter et un autre avec Damien Jalet. C’est ensuite que je suis rentrée au Théâtre National de Strasbourg en section Jeu.
Avez-vous réussi a concilier votre amour pour la danse et votre passion pour le théâtre ?
Oui, pas complètement, mais j’y travaille ! Je pense que ça va se croiser encore plus intensément dans les années qui viennent, car c’est quelque chose que j’aime profondément. J’aimerai vraiment développer un rapport plus physique au jeu, mais je ne sais pas encore sous quelle forme. J’aime l’idée de travailler uniquement avec des danseurs un jour sur un projet.
Quelle est l’importance des mots dans vos créations ?
Comme on travaille ensemble avec Kevin, il y a un moment où l’on est tous les deux avec le texte entre les mains. On le lit à haute voix, et on l’échange, on en fait la rythmique, voir comment la partition va s’arranger et quelle énergie ça va donner au plateau… c’est une étape qui me passionne. J’ai travaillé quelques fois sur des partitions qui étaient écrites par d’autres auteurs que je n’avais pas rencontrés, mais c’est assez fantastique de participer à cette collaboration et de faire évoluer une idée comme on a envie qu’elle sonne au final.
Le prochain projet auquel vous vous attellerez sera un opéra : Orphée et Eurydice. Comment appréhendez-vous la construction de ce travail ?
Justement, avec beaucoup de curiosité ! C’est très différent de la façon dont je travaille dans la Compagnie, où on travaille en amont de la construction de la partition, puis avec l’équipe technique pour que tout l’univers soit très cohérent avec le texte et les propositions de plateau. Là, il faut prévoir, car les temps de préparation sont beaucoup plus court… Donc je suis assez curieuse de voir comment ça va se dérouler, ensuite je crois que de toute façon les équipes sont tellement talentueuses, avec des gens tellement doués chacun dans leur domaine, qu’il faut aussi savoir faire confiance et avancer.
Un petit saut dans le temps pour voir où vous serez dans 10 ans ?
J’aimerais continuer de travailler avec l’équipe avec laquelle je travaille actuellement. L’équipe technique est composée de gens très importants pour moi car c’est avec eux que je réfléchis tout le projet : ce sont les personnes qui font les costumes, la scénographie, les lumières, le son, la vidéo, la construction du décor… Il y a bien sûr Kévin qui est à l’écriture et à la dramaturgie, et puis nous également, un noyau de comédiens, avec qui on a fait les trois précédents projets. Ce sont des gens que j’adore au plateau, qui apportent incroyablement de choses et qui sont tellement généreux que j’ai envie de continuer avec eux. J’aimerais également beaucoup travailler à l’étranger. J’ai eu la chance de voyager quand j’étais plus jeune, et je trouve que la confrontation avec une autre culture est quelque chose d’extraordinaire et en particulier en art. Rencontrer d’autres artistes avec d’autres fonctionnements et voir comment ces choses là peuvent m’enrichir, et ce qu’elles peuvent m’apporter, puis peut-être à mon tour leur apporter quelque chose… ça me plairait beaucoup aussi.