Estelle Balet et Anne-Flore Marxer

Crédit photos : Swatch
Les deux championnes Estelle Balet et Anne-Flore Marxer sont les exemples parfaits montrant que le freeride n’est pas un sport extrême réservé aux hommes. Belles, naturelles, gracieuses et toujours de bonne humeur, les deux « free rideuses » ont partagé avec Mademoiselle un chocolat chaud et de jolies histoires à propos de leur sport, de la montagne et de la vie. Rencontre.
Qu’est-ce-qui vous a amené au freeride ?
Estelle : « Tout a commencé avec Géraldine (Fasnacht, sa coach et championne elle aussi du Freeride World Tour). Elle m’a tout appris sur la montagne et le freeride. C’est grâce à elle si j’ai pu arriver aussi vite, là où je suis. On est très peu de femmes dans cette discipline. Chaque année, il y a très peu de compétitrices du Qualifers Tour qui réussissent à rejoindre notre cercle de rideuses, pourtant on cherche vraiment à l’agrandir. L’intérêt pour ce sport est de plus en plus important mais il faut une certaine force pour le pratiquer. Je n’ai jamais fait de sport avec une fédération, ça ne me manque pas mais c’est vrai que ça pourrait nous aider. On est comme des petites entreprises, on gère seules nos entrainements avec nos coachs, notre image, nos sponsors. Il faut un peu de chance et un bon timing pour avoir des propositions intéressantes de sponsoring sinon ça peut nous empêcher de continuer cette aventure. Swatch est l’un de mes premiers sponsors, nous avons une bonne relation et j’apprécie leur engagement dans cette discipline. C’est vraiment le sponsor de rêve. Le freeride est un sport de partage. On vient tous d’horizons différents : Anne-Flore faisait du freestyle, Xavier du boardercross et Samuel est guide de montagne. Ça nous permet de voir le style des autres et d’exploiter toutes les lignes possibles d’une face. On crée des liens d’amitié vraiment très fort. À mon sens, c’est important d’être entourée de gens qui comprennent ce que je vis, parce que ce sont des moments incroyables. Mes plus belles journées se résument à un ciel bleu, un hélicoptère, Géraldine et moi avec un cameraman et un photographe pour filmer nos descentes. C’est pour vivre de belles expériences comme celles-ci que je fais du freeride. Il y a aussi ces moments, tôt le matin, lors de notre montée vers le sommet, quand on s’arrête au milieu de la face pour assister au lever du soleil. C’est magique, très peu de gens peuvent vivre ce spectacle. Mais le World Tour passe trop vite malheureusement, j’aimerais qu’il y ait plus de structures et plus d’étapes pour que ça devienne un championnat à part entière. L’un de mes objectifs de 2016 serait de gagner à nouveau le championnat. J’ai un projet vidéo aussi, en partenariat avec Verbier – Les 4 Vallées, le domaine d’où je viens, pour redécouvrir des pistes que je connais depuis mon enfance et partager ce moment avec mes amis de la compétition ».
Anne-Flore : « Ma mère m’a mise sur des skis alors quand j’avais un an, je ne savais pas encore marcher. Elle m’a toujours dit que lorsqu’on me mettait dessus, j’étais la plus heureuse du monde, mais quand on essayait de me les enlever, je faisais un scandale. Je pense que ça n’a pas trop changé. Être dans la montagne, c’est quelque chose de fabuleux. Le freeride m’apporte plein de sensations. Ce qu’il y a de plaisant dans la montée vers le sommet ou dans la randonnée c’est le spectacle que nous donne la nature. Quand on monte, on s’enfonce dans la nature, dans le calme et on est heureux. La descente est un moment très rapide alors que la montée prendra le temps qu’il lui faut. Pas après pas, on entre dans une sorte de méditation, de temps en temps, on relève la tête pour admirer le paysage. Quand on arrive au sommet, on se sent fier de l’avoir fait et on savoure encore plus sa descente parce qu’on sait qu’on la mérite. Là- haut, la peur n’existe pas mais il y a cette pression personnelle et ce stress qui nous permet de nous concentrer. Au moment du drop (action de descendre la face de la montagne), le temps s’arrête. On n’a pas le temps de penser, nos actions sont automatiques, dictées par notre expérience et nos années de pratique. Chacun choisit sa ligne, personne ne nous oblige à faire quoi que ce soit. Il faut bien évidemment envisagé toutes les possibilités : s’il y a une avalanche, par où je repars ? Qu’est-ce que je fais de la neige que je déplace sur mon passage ? Bien évidemment on a du matériel pour nous sauver, des balises, des sondes, une pelle et un sac airbag mais encore faut-il savoir s’en servir. D’où l’importance de la formation ISTA que nous allons suivre (voir article Freeride). On doit aussi apprendre à s’adapter au jour le jour, on dépend beaucoup de la météo et de nos obligations envers nos sponsors. Mais on est tous là parce qu’on est passionnés par ce qu’on fait, c’est une chance d’ailleurs. Il y a une entraide très forte, on est tous passés par des moments difficiles alors on apprécie d’autant plus les moments heureux.
Comment prendre soin de soi quand on est une championne ?
Estelle : « L’été déjà, je fais une pause. Elle me permet de faire des choses totalement différentes. Par exemple je suis partie à Bali et en Corse pour le G20, c’est des choses que je prends le temps de faire et que si je n’en profite pas à mon âge, quand est-ce que je le fais ? Je prends le temps de voyager et ça me plait. J’ai une alimentation saine depuis mes débuts dans la compétition. Beaucoup de légumes, très peu de viande même si je me force à en manger plus lors de mon entrainement parce que le corps à besoin d’apports importants à cette période. Ensuite, j’adapte mon régime alimentaire au fur et à mesure de la saison. Le pire, c’est de devoir se priver, alors je ne le fais pas. Si un soir je veux manger une grosse part de tiramisu, je le fais, de toute manière avec tout le sport que je fais ça ne peut pas me faire de mal. J’aime tellement la nourriture ça serait dommage de m’en priver. Côté beauté, quand je monte, je fais toujours attention à bien protéger ma peau avec un SPF 50 et une BB crème. C’est un peu lourd, je suis légèrement orange mais je préfère ça plutôt que d’être rouge à mon retour au pied de la montagne. On évite de se maquiller beaucoup sur les pistes, mais on fait le strict minimum pour rester un peu féminines, surtout avec les habits que l’on porte ».
Anne-Flore : « Comme je le disais plus haut, il y a une sorte de fierté personnelle dans ce sport qui est très satisfaisante. Dans la vie, il n’y a pas forcément une personne qui nous félicite pour le travail accompli mais dans le milieu sportif quand on passe une étape on ressent cette fierté d’avoir accompli quelque chose. Et c’est super important pour la confiance en soit. Surtout pour une femme puisque de manière générale on a tendance à se sous-estimer. C’est ce qui permet de prendre du recul sur son parcours, de remarquer sa progression, pour pouvoir se sentir bien dans sa peau et dans sa tête. Je n’ai jamais réussi à me mettre des objectifs, je ne rumine pas trop sur l’avant et je ne stresse pas trop sur l’après, je reste vraiment dans le spontané et l’instant présent. Quand on a une vie comme la mienne, qu’on voyage beaucoup, je me dis que ça serait dommage de ne pas en profiter et de ne pas avoir le sourire. Il y a aussi quelques moments de mélancolie … En montagne il peut arriver qu’il y ait quelques accidents, et on réalise qu’on ne sait jamais quand la vie peut s’arrêter alors on essaye de profiter de chaque instant et surtout d’attirer le bon. On vit les choses pleinement, et avec le rythme de vie plus tôt athlétique qu’on a, on ne se pose pas trop de questions sur ce qu’on peut manger ou non. Je m’alimente plutôt bien, je mange bio, mais j’ai pratiquement renoncé à la viande. On n’en a pas besoin à tous les repas finalement. Il faut surtout surveiller ses carences, ça ne sert à rien de se retrouver tout là-haut, tremblante et avec la tête qui tourne. La veille d’un grand événement je fais attention à bien prendre tout ce qu’il me faut, et le matin je ne me suralimente pas parce que je ne peux pas avoir le ventre trop lourd pour la montée. On a pas mal de muscles mais je me sens bien avec puisqu’ils me permettent d’accomplir de belles choses. Le froid, l’air sec, le soleil sur la neige, ce n’est pas le top ! J’ai quelques problèmes avec mon menton et mes cheveux sont très souvent gelés à la fin de la journée. J’utilise des crèmes très grasses, comme le gras d’abricot. Quand je rentre le soir, je me lave le visage à l’eau tiède et j’en mets une bonne couche sur mon visage. Sans oublier, dans la journée, d’utiliser une bonne protection solaire ! »
À quoi ressemble votre vie en dehors des pistes et du freeride ?
Estelle : « Les études ! J’ai passé mon bac il y a un an et demi, en même temps que mon premier Freeride World Tour. C’était chaud ! Je jonglais entre les cours, les entraînements, un départ imprévu en Alaska de deux semaines. Mais je m’en suis pas mal sortie : j’ai eu mon bac et la deuxième place du championnat. Ensuite, j’ai décidé de prendre une année sabbatique qui se finira en septembre puisque je rentrerais en sport-étude à l’université de Genève, en management économique. C’est un diplôme avec lequel je pourrais continuer à travailler dans le milieu du snowboard plus tard si j’en ai envie. Le jour où tout ça s’arrêtera, j’espère que ça sera ma décision. Ça serait un vrai regret de ne pas pouvoir aller au bout. J’espère pouvoir me dire « Voilà, j’ai fait tout ce que je voulais faire, il est temps de passer à autre chose ». Quand on est une femme c’est différent, on pense à fonder une famille, à travailler, à avoir une vie stable. Mon copain vit la même chose que moi, il est sur le World Tour aussi, c’est important de partager sa vie avec quelqu’un du même milieu. Quand je ne skie pas, je cuisine ! J’adore ça, je faisais beaucoup de gâteaux quand j’étais petite, maintenant j’essaye de me diversifier un petit peu mais je reste une grande adepte de tout ce qui est pâtisseries et sucreries. Même si le snowboard s’arrête, il est inconcevable pour moi de m’installer en ville. Je ne sais pas comment vous faites. Ça doit vous sembler étrange parce qu’ici on a beaucoup moins de facilités que vous mais il n’y a pas tout ce bruit, cette rapidité, cette pollution. Quand je passe un week-end à Paris par exemple, au bout d’une journée je suis exténuée alors que je n’ai rien fait ».
Anne-Flore : «Organiser sa vie personnelle c’est vrai que c’est compliqué mais ça ne me pose pas de problème, j’ai toujours vécu comme ça. En revanche, je suis incapable d’avoir un rendez-vous chez le dentiste. Je ne peux rien prévoir et ça me pose un problème quand je veux faire quelque chose avec des amis parce que eux sont encadrés par des dates précises et moi je ne peux pas m’engager à l’avance. J’aime beaucoup voyager. Il y a deux ans, j’ai fait une super excursion au Groenland, sur un voilier avec juste une carte et une boussole. Il y avait aussi cette découverte de la Patagonie, à dos de cheval. C’étaient des voyages où il n’y avait plus de frontières, plus de limites, en autonomie complète. Tous mes meilleurs souvenirs sont des moments que je n’avais jamais envisagés auparavant. J’adore surfer aussi. Il y a un moment où à force de faire du snowboard hiver après hiver, je ne me rappelais même plus pourquoi j’étais là. J’ai pris un peu mes distances, je suis partie au soleil et j’ai surfé. Pour la première fois de ma vie, je suis tombée sur un sport que je n’arrivais pas à faire. Et pour moi c’était inacceptable, donc je me suis acharnée. Le surf c’est quelque chose de difficile à apprendre, j’ai dû repousser mon égo et admettre que je n’étais qu’une débutante. Je me suis rendu compte que le plaisir ne venait pas seulement de la performance que l’on faisait mais aussi du moment même s’il ne se passe pas grand chose d’extraordinaire. Et j’ai continué à faire du surf parce que je n’y arrivais pas ! Je me suis vue progresser et ça m’a rendue le plaisir, la motivation qu’il me manquait pour le snowboard. J’ai réussi à trouver un équilibre, en hiver je profite à fond de la montagne et l’été c’est les vagues, toujours avec la même dynamique. Je suis motivée pour chaque saison de l’année. Quand je fais quelque chose, je le fais à fond, je donne tout ce que j’ai. Des regrets, pourquoi faire ? ».